L'hymne des gaumais : tchantans, tchantans...

Qui, en Gaume, ne connaît pas l'hymne "Tchantants, tchantans,..." ?
Mais, en fait, il y en a plusieurs versions. En voici une première, en six couplets et deux refrains.

1.
Peusqu les aut's tchantant dès leu langatche
Pourquoi Gaumais, nu fârinch-mi coume zous ?
Digez coum'mi, çu s'rout vraiment doumatche
Du voir in cau not'viè patois pas d'zou

Rufrain :
Tchantans, tchantans eune tchansan pou nous autes,
Tchantans bin fôrt, i faut nous fâre oï;
Not' viè patois, quand i gnarou co des fautes,
Tchantans toudjous, i n'faume lu ravoï !

2.
Les viès, les d'jaunes, à tout' réjouissance,
Les fies, les feumes, les houmes èt les gamins,
Tchantans tourtous, à toule èt à la danse,
Quat', cinq couplets, èl' preumi d'nôs casmins.
Tchantans, tchantans, etc...

3.
L'casmin bin fâ, c'est l'coummencement d'eune keute,
Quat', cinq', chix pais, a v'la bin pou huit djous ;
Si not'tchansan nu nous ruvinme à veute,
Les gais Gaumais tchantrant sûr tous les djous;
Tchantans, tchantans, etc...

4.
A bichant s'goss, à pélant la potaïe,
S'elle cousse ou bin s'elle ruflä ses tchaussans,
La ménagère paurrait rire eune gavaïe,
T'a répétant lu refrain d' not' tchanson:
Tchantans, tchantans, etc...

5.
Ceux qui sant vouyes pou mieux gagni leur vie,
Soit à Paris, aux fôrtches ou au Congo,
Soit aux soldats pou servi la Patrie,
Tchantrant souvet, pesan leu p'tit mago;
Tchantans, tchantans, etc...

6.
Et quand d'j'mourrans, èl pu tard quu possip,
Quand d'jarans fâ tout lu bin qu'djarans pu,
An dèret d'nous : il ant cassé leu pipe,
Il ant tchantéie, mon Dieu ! I n'tchantrant pu.

Darnî rufrain :
Il ant tchantéie des tchansans pou nous autes,
Tchantant bin fôrt, il ant seu s'fâre oï,
Not'viè patois, quand i gnarou co des fautes,
Tchantans coume zous, I n'faume lu ravoï.
1.
Puisque les autres chantent dans leur langage
Pourquoi, Gaumais, ne ferions-nous pas comme eux ?
Dites comme moi, ce serait vraiment dommage
De voir un jour notre vieux patois abaissé

Refrain :
Chantons, chantons une chanson pour nous autres,
Chantons bien fort, il faut nous faire entendre
Notre vieux patois, encore y aurait-il des fautes,
Chantons toujours, il ne faut pas le renvoyer.

2.
Les vieux, les jeunes, en toutes les réjouissances,
Les filles, les femmes, les hommes et les gamins,
Chantons tous, à table et à la danse,
Quatre, cinq couplets, en commençant la pâte.
Chantons, chantons, etc...

3.
La pâte bien faite, c'est le commencement d'une fournée,
Quatre, cinq, six pains, en voilà pour huit jours,
Si notre chanson ne nous revient pas à vide,
Les gais Gaumais chanteront à coup sûr tous les jours;
Chantons, chantons, etc...

4.
En berçant son gosse, en épluchant les légumes,
Quand elle coud ou ravaude les bas,
La ménagère pourrait rire une goulée
En répétant le refrain de notre chanson:
Chantons, chantons, etc...

5.
Ceux qui sont partis pour mieux gagner leur vie
Soit à Paris, aux forges ou au Congo,
Soit comme soldats pour servir la Patrie,
Chanterons souvent en pesant leur petit magot,
Chantons, chantons, etc...

6.
Et quand nous mourons, le plus tard possible,
Quand nous aurons fait tout le bien que nous aurons pu,
On dira de nous: ils ont cassé leur pipe,
Ils ont chanté, mon Dieu! Ils ne chanteront plus!

Dernier refrain :
Ils ont chanté des chansons pour nous autres;
Chantant bien fort, ils ont su se faire entendre.
Notre vieux patois, encore y aurait-il des fautes,
Chantons comme eux, il ne faut pas le renvoyer.

Et pourtant, si vous écoutez cette version, chantée par la chorale de l'Atelier de l'Académie des patois gaumais :

Vous verrez que le texte est un peu différent :

1.
Peusqu les aut's tchantant dès leu langatche
Pourquoi Gaumais, nu fârinch-mi coume zous ?
V'dèrè coum'mi, çu s'rout vraiment doumatche
Si an voyou not'viè patois pas d'zou

Refrain :
Tchantans, tchantans eune tchansan pou nous autes,
Tchantans bin fôrt, i faut nous fâre oï;
Dèrè qui veut quu dj'sans des drol' d'apôtes
Tchantans tourtous lu langatch du paï (bis)

2.
Pou nous la Gaume, c’est l’pu bé des païs
Dju n’envian’mes ni Bruxelles, ni Paris
An z’y èst bin, il y fâ bon viqui
Dju l’rugrettans quand i nous faut parti
Tchantans, tchantans, etc...

3.
Les djaloux d’jant qu’not’ patois èst grossiè
In pî au cu, à la panse, au potré
V’là ç’qu’arant ceux qui n’aimant’m’ les Gaumais
Cèst des torés, des varas, des pouchés
Tchantans, tchantans, etc...

4.
Dès la majan gnè la cujine èt l’pèle
Y gnè l’culot ousquu l’marcau ronfèle
Peu y gnè l’four aveu sa laurtch tchimnaïe
An z’y fâ l’pai, la buaïe, la cujnaïe
Tchantans, tchantans, etc...

5.
Vulez’v asteur quèqu’ mots d’not’ bé patois
Tchacâ, cuchôrt, cu d'bouré, boussé, poiche
Douïe, gaye, tchâ, pôrtch’, potré, couchû, tricoiche
Bon sang, dèrez’v, à vla inq’ du hassois !
Tchantans, tchantans, etc...

6.
Et quand d'j'mourrans, èl pu tard quu possipe,
Quand d'jarans fâ tout lu bin qu'djarans pu,
An dèret d'nous : ils ant cassé leu pipe,
Il ant tchantéie, mon Dieu ! I n'tchantrant pu.

Darnî rufrain :
Il ant tchantéie des tchansans pou nous autes,
Tchantant bin fôrt, il ant seu s'fâre oï,
Pou quu l’bon Die roubliiche tout’s leu fautes
Et quu dj’tchantinche assène an paradis ! (bis)

Tchantans ! Tchantans ! Tchantans !
1.
Puisque les autres chantent dans leur langage
Pourquoi, Gaumais, ne ferions-nous pas comme eux ?
Dites comme moi, ce serait vraiment dommage
De voir un jour notre vieux patois abaissé

Refrain :
Chantons, chantons une chanson pour nous autres,
Chantons bien fort, il faut nous faire entendre
Dira qui veut que nous sommes de drôles d'apôtres,
Chantons tous le langage du pays.

2.
Pour nous, la Gaume, c'est le plus beau des pays,
Nous n'envions ni Bruxelles, ni Paris,
On y est bien, il y fait bon vivre,
Nous le regrettons quand il nous faut partir.
Chantons, chantons, etc...

3.
Les jaloux disent que notre patois est grossier,
Un pied au cul, à la panse, à la figure,
Voilà ce qu'auront ceux qui n'aiment pas les gaumais,
Ce sont des taureaux, des démons, des porcs.
Chantons, chantons, etc...

4.
Dans la maison, il y a la cuisine et le "pèle",
Il y a l'espace devant l'âtre où ronfle le matou,
Puis il y a le four, avec sa large cheminée,
On y fait le pain, la lessive, la caboulée.
Chantons, chantons, etc...

5.
Voulez-vous maintenant quelques mots de notre beau patois :
Chabot, ortie, cumulet, bosse, pois,
Orteil, chèvre, viande, fosse à fumier, museau, tablier, tenailles,
Bon sang, direz-vous, en voilà un de désordre !
Chantons, chantons, etc...

6.
Et quand nous mourons, le plus tard possible,
Quand nous aurons fait tout le bien que nous aurons pu,
On dira de nous: ils ont cassé leur pipe,
Ils ont chanté, mon Dieu! Ils ne chanteront plus!

Dernier refrain :
Ils ont chanté des chansons pour nous autres;
Chantant bien fort, ils ont su se faire entendre.
Pour que le bon Dieu oublie toutes leurs fautes
Et que nous chantions ensemble au paradis !

Chantons ! Chantons ! Chantons!

Et d'autres versions existent encore, comme celle des "Sossons d'Orvaulx", qui compte 40 couplets !

En fait, il demeure un certain flou à propos de la création de cette chanson folklorique.
Maison mère Habran

La "légende" veut que ce soit l'abbé Paul Habran qui en soit l'auteur.
Il est né à Bouillon, où son père était professeur, en 1884. Mais il était resté gaumais de coeur. Son père était en effet originaire de Sainte-Marie-sur-Semois et sa mère, de Villers-sur-Semois. Elle résidait au 30, rue Saint-Martin, où vécu la famille Fery, puis Paul François, bourgmestre et député. Et, pour l'abbé Habran, Villers restait son village d'affection où il aimait particulièrement revenir.
Aussi pour tous ceux qui l'ont connu, pour tous ceux qui ont entendu parler de lui, l'abbé Paul Habran est un enfant de Villers-sur-Semois.

Vicaire à Tintigny, curé à Baranzy, à Ucimont, à Torgny puis à Halma, il s'éteignit à Namur le 6 mars 1963.

Logo JOC

En 1923, se déroulait le grand congrès national de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC), à Charleroi.
Toutes les régions du pays y étaient représentées y compris, bien sûr, la Gaume. Une délégation de jeunes gaumais prit donc le train pour Charleroi, accompagnée de l'abbé Paul Habran.
Or, chaque région avait sa chanson régionale, et les Gaumais n'en avaient pas ! Et, selon Roger Marchal, dans "Coins de Gaume, mon beau pays", c'est dans le train les conduisant à Charleroi que l'abbé Habran aurait achevé de composer "Tchantans tchantans" et aurait fait répéter à ses amis gaumais qui l'entouraient, les Georges Zimmer d'Ansart, Oscar Moulu, Edouard Henry de Tintigny et bien d'autres de Fratin, Buzenol et de tous les villages gaumais, les premiers vers, les premiers couplets et refrains, cogités et préparés sans doute à l'avance avec l'abbé Legros d'Etalle et qu'ils chantèrent tous ensemble, à tue-tête, dans les rues de Charleroi et de La Louvière.

La Chanson des Gaumais "Tchantans, tchantans ..." était née !

Alors, cette histoire de création de la chanson des gaumais dans le train pour Charleroi, est-ce une légende ?

L'histoire est probablement vraie en partie...
Plusieurs sources affirment que le premier auteur de "Tchantans, tchantans" serait Omer Fontaine, né à Etalle le 29 janvier 1854.
Il fut rédacteur au journal "l'Echo du Luxembourg".
Il a fondé la société de musique d'Etalle en 1879, mais aussi la laiterie d'Etalle et fut l'instigateur des syndicats agricoles de la région.
Et ce serait déjà le 11 juin 1904, soit 19 ans avant la fameuse réunion de la JOC à Charleroi, qu'il aurait écrit les 6 couplets et les refrains de ce qui allait devenir l'hymne des gaumais.
Il est probable que sa version fut à peu près celle que nous proposons ci-dessus en premier lieu. Et, comme beaucoup d'autres par la suite, l'abbé Habran n'aurait fait qu'ajouter ou transformer des couplets à ce texte original.
Quant à la musique, elle pourrait être l'oeuvre d'un certain Philippe Keyenbergh, qui fut musicien au 10e de Ligne à Arlon et qui était né à Louvain en 1875.
A ce sujet, voir par exemple les journaux de la confrérie "Les Sossons d'Orvaulx".

Qu'à cela ne tienne ...

Que ce soit l'abbé Habran, stabulois de souche, ou Omer Fontaine, habitant d'Etalle, ou encore l'abbé Legros, curé d'Etalle, tous ces potentiels auteurs sont originaires de ce qui allait devenir la commune d'Etalle.

Alors, soyons chauvains : "Tchantans, tchantans" fut d'abord un hymne stabulois !