La chaussée romaine ou "Chaussée Brunehaut"

Chaussée romaine de Reims à Trèves
La chaussée romaine entre Vance et Etalle

La chaussée romaine reliant Reims à Trèves passe par notre commune. Grâce à l'inscription sur la borne milliaire de Buzenol, réutilisée dans le donjon du refuge antique de Montauban, nous savons qu'elle a été construite par l'empereur Claude en 44 et 45 de notre ère. Cette borne était située à l’origine à 57000 pas (soit 84 km) de Trèves, soit aux environs de Lenclos.

En effet, au cours de la première moitié du premier siècle, la région connaît un essor économique soudain et remarquable. L'administration romaine a donc consacré ce développement par la construction d'une artère facilitant l'écoulement des produits vers les villes les plus proches.
Autant que possible, son tracé est rectiligne, sauf dans les vallées trop profondes où la chaussée s'adapte par des crochets. Sur son parcours belge, la chaussée ne présente que 3 changements de direction sur 46 km (à Chameleux, Pin et Sampont). En quittant Sampont, la chaussée entre sur le territoire de la commune d'Etalle au nord de Villers-Tortru, puis se poursuit au nord de Vance pour rejoindre Etalle. Elle y traverse la Semois par un gué empierré qui a prouvé jusqu'à nos jours sa solidité. Il sera plus tard contrôlé par le site de Lenclos et le château de la Grosse Tour. Après un parcours de 9 800 mètres dans la commune, elle la quitte entre Sainte-Marie et Poncelle. A Etalle, le "Chemin des Romains" et à Sainte-Marie la "Chaussée Romaine" sont maintenant des routes tracées sur le parcours initial de la chaussée.

Cette chaussée est également appelée "Chaussée Brunehaut",
Livre de 1908

du nom de la reine Brunehaut, épouse de Sigebert 1er, qui gouvernait l’Austrasie au VIe siècle.

D'où vient ce nom ?

Pour comprendre, il faut se rappeler de l'histoire mérovingienne et des péripéties de la vie tumultueuse de cette reine et de sa rivale Frédégonde.

Brunehaut et Frédégonde, deux reines sanglantes
Carte du partage du Royaume des Francs

Nous sommes en 561, quand Clotaire Ier, le dernier fils de Clovis, vient de mourir en laissant ses quatre héritiers se partager le royaume des Francs.

Sigebert, né d'un premier mariage de Clotaire, reçoit le royaume de Reims (en jaune), que l'on nomme l'Austrasie, car c'est la partie orientale du territoire. L'Austrasie comprend la Gaume, l'est de la France et les régions rhénanes.
Chilpéric reçoit le royaume de Soissons (en orange), aussi appelé Neustrie, pour qualifier la partie ouest.
Gontran reçoit le royaume d'Orléans (en bleu-gris), avec la vallée de la Loire.
Caribert reçoit le royaume de Paris (en vert), soit toute la Gaule du nord-ouest. Mais 6 années plus tard, Caribert meurt sans laisser de descendance mâle et ses terres sont redistribuées entre les trois autres frères.

Les autres territoires restent indépendants.

On peut alors s'imaginer qu'avec une telle configuration aussi tarabiscotée, les petites guerres entre frères n'allaient pas tarder...
Mais ces rivalités auraient pu être moins sanglantes sans la contribution des épouses des souverains : Frédégonde et Brunehaut.

Frédégonde

Frédégonde est une jeune femme, pétulante et jolie, mais aussi diabolique.
Elle est la servante de la reine Audovère, l'épouse du roi Chilpéric de Neustrie et rêve elle-même d'épouser le roi.
Par ruse, elle finit par devenir une de ses concubines et même sa favorite. Chez les mérovingiens, la monogamie chrétienne n'était pas encore entrée dans les moeurs.

Audovère fut chassée du lit royal après avoir donné quatre enfants à Chilpéric, condamnée à prendre le voile et à se retirer au couvent.

Le roi doit alors se remarier et envisagerait peut-être que ce soit avec Brunehaut.

Brunehaut, reine d'Austrasie

Brunehaut est jolie, pleine d'esprit, de grâce et d'élégance, c'est la fille du roi des Wisigoths d’Hispanie.
Elle a épousé Sigebert, le roi d'Austrasie, qui, lui, est fidèle à sa femme et qui n'entend pas la céder à son demi-frère.

Celui-ci doit se contenter de marier la soeur de Brunehaut, Galswinthe, une femme au physique un peu ingrat, mais que Chilpéric épouse pour son rang.
Moins d'un an après les noces, elle est retrouvée étranglée et poignardée dans le lit conjugal.

On parle l'autostrangulation, mais Brunehaut ne peut pas y croire et soupçonne Frédégonde d'y être pour quelque chose. D'autant plus que seulement après une semaine de veuvage, Chilpéric convole avec Frédégonde, enceinte de ses oeuvres.

Brunehaut jure alors la perte des assassins de sa soeur.

La faide royale

Une lutte acharnée et sans merci débute alors entre les deux royaumes rivaux et les surtout deux reines.

Brunehaut supplie son époux Sigebert de venger l’honneur de sa sœur et d’entrer en guerre contre Chilpéric, c’est le coup d’envoi de la "faide royale", une forme germanique de la vendetta.

Celle-ci va se transformer en une véritable guerre entre la Neustrie et l’Austrasie.

Après cinq années de conflit, Sigebert envahit finalement les terres de Chilpéric en 575 et mène avec brio un siège contre la ville de Tournai où s’était réfugié Chilpéric. Ce dernier se voit obligé de se rendre et de céder de nombreux territoires à son frère.

Frédégonde assassine

Plusieurs meutres sont attribués à Frédégonde :

La reine Galswinthe, deuxième épouse de Chilpéric et soeur de Brunehaut.
Sigebert, roi d'Austrasie et nouveau roi de Neustrie, après sa victoire contre son frère. Au retour de sa conquête, il a été assassiné par des hommes à la solde de Frédégonde.
Clovis, le dernier fils encore en vie de l'union de Chilpéric avec sa première femme Audovère. Frédégonde le fait assassiner par jalousie, parce que ses propres enfants sont morts de dysenterie.
Basine, la fille de Chipéric et d'Audovère. Là, elle ne la tue pas, mais la fait violer pour qu'elle perde son honneur et ses droits à la succession royale.
La reine Audovère, première épouse de Chilpéric. Frédégonde la fait égorger dans le couvent où elle était recluse depuis la répudiation de son mari.
Son mari Chilpéric, parce qu'elle a donné naissance à un fils (dont Childeric n'est pas le père) et qu'elle veut qu'il devienne souverain. Et ce sera le cas : il deviendra Clotaire II et reprendra le flambeau sanglant de sa mère.
Praetextat, l'archevêque de Rouen, assassiné en pleine messe, parce qu'il avait scellé l'union de Brunehaut avec Mérovée, fils de Chilpéric (et donc neveu de Brunehaut...).

Mort de Brunehaut

Et Brunehaut ? Est-elle vraiment sans tache ?

Certes, elle fait élever des hôpitaux, des églises, des monastères et restaurer les routes romaines.
Mais sa soif de pouvoir la fait devenir cruelle et tout aussi ambitieuse que sa rivale. C'est bien après la mort de cette dernière qu'elle finira elle même sa vie de manière atroce.

Clotaire II s'est chargé de l'exécuter pour venger sa mère Frédégonde.

La reine est attachée à la queue d’un cheval, par les cheveux, une jambe et un bras.
Sous les coups de sabot de la bête lancée au galop, le corps de la reine se désarticule, se disloque, se déchire.
Ce fut la fin de la reine d'Austrasie, en 613 : elle avait 66 ans !



Alors, pourquoi "Chaussée Brunehaut" ?

Les historiens ne sont pas tous d'accord sur le fait que ce nom soit lié à la reine mérovingienne.
Il est vrai qu'elle aurait initié la réfection de quelques routes, y compris des chaussées romaines.
Mais est-ce suffisant pour qu'un grand nombre de ces voies antiques prennent le nom de "chaussées Brunehaut" ?

L'historien belge Vannerus a montré en tout cas que ce nom était exclusivement utilisé en pays de langue romane et les plus anciennes mentions se rencontrent en Artois et en Picardie (et donc, plutôt en Neustrie...).

Certains suggèrent un lien avec Brunehilde, la valkyrie (divinité féminine nordique), la "faiseuse de merveilles", pour montrer le caractère "diabolique" de ces routes romaines.

En effet, au Moyen-Age, ces chaussées romaines, passant en ligne droite à travers les labours et les bois, souvent sur des crêtes, sans tenir compte des agglomérations, étaient souvent attribuées au diable, car il fallait une "intervention surnaturelle" pour justifier de telles réalisations.
C'était probablement aussi comme cela que la reine mérovingienne Brunehaut était, à cette époque, perçue dans nos régions, par des gens qui probablement ne connaissaient pas Frédégonde, pourtant encore beaucoup plus machiavélique...