La cuesta sinémurienne et la cuesta rhétienne
Souvent, les Belges du centre et du nord du pays, appellent "Ardenne" tout le sud de la Belgique, sans distinction des régions. Pourtant, bien plus que par les différences de dialecte, voire de caractère ou de culture de leurs habitants, l’Ardenne et la Gaume (ou partie romane de la Lorraine belge) se distinguent par leur géologie sous-jacente.
En Ardenne, les couches qui affleurent sont celles du socle primaire paléozoïque (environ entre -540 et -250 millions d’années), alors que le sud de la province du Luxembourg est la seule région belge dont les couches géologiques affleurantes datent de l’ère secondaire (plus précisément de la période du Jurassique). Elle fait partie du "Bassin de Paris", qui était occupé par une vaste mer intérieure. A partir de la période du Trias (-250 millions d’années), la mer a commencé à se combler par dépôt de sédiments issus de l’érosion des massifs en prenant appui sur la bordure méridionale du socle primaire ardennais. Comme ce comblement s’est passé en plusieurs phases, avec des retraits de la mer, suivis de plusieurs brefs retours, plusieurs couches différentes se sont déposées, en alternant des roches dures, comme le grès ou le calcaire et des roches meubles, comme l’argile, les marnes, le schiste ou le sable. Au cours du temps, l’érosion a donc sculpté un paysage topographique remarquable, montrant un relief en dents de scie asymétriques ou cuestas. Les couches tendres, facilement érodées, sont des vallées fertiles alors que, sur les roches dures faiblement érodées, les côtes ou cuestas sont souvent boisées.
Sans entrer dans les détails, un petit tableau peut être utile pour rappeler l’échelle des temps géologiques et plus spécialement pour l’ère secondaire qui intéresse nos régions.
En Gaume, on identifie en général trois cuestas principales.
La première cuesta est la cuesta sinémurienne. Une couche inclinée de marne tendre, déposée il y a 200 millions d’années (étage hettangien), a été creusée par la Semois et son réseau hydrographique. Sur cette marne, à l’étage géologique du sinémurien (entre 199 et 190 millions d’années) est venue se déposer une couche de grès plus dur, qui a été peu érodée. Elle forme la crête de la cuesta, qui pointe à plus de 400 mètres d’altitude. Entre la dépression formée par la Semois et la crête s’est donc formé un front raide. Par son inclinaison, la couche dure forme une pente douce vers le sud, appelé le revers de la cuesta.
Plus tard (sous-étage carixien), des couches de marne et de schiste, tendres, se sont déposées sur le grès sinémurien. Elles sont entaillées par de profondes vallées : le Gros-Ruisseau, la Chevratte, la Soye ...etc. et plus particulièrement le Ton, qui a creusé une dépression terminant au sud la cuesta sinémurienne. Durant le sous-étage domérien, entre 186 et -182 millions d’années, s’est à nouveau déposée une couche dure, de grès calcaire, aussi appelée "macignos", formant la crête, puis le revers de la deuxième cuesta, longé au sud par la Vire, qui a creusé son lit dans une couche à nouveau plus tendre de schistes.
Enfin, à l’étage du bajocien, entre -170 et -168 millions d’années, une couche calcaire dure, peu érodée a formé une troisième cuesta jusqu’à la frontière française. Ces trois cuestas, la sinémurienne, la domérienne (ou du macignos) et la bajocienne sont donc caractérisées par un front raide au nord, une crête, puis un revers, incliné en pente douce vers le sud. Elles sont longées par trois cours d’eau : la Semois, le Ton et la Vire, qui forment leurs limites.
Mais à Etalle, la situation est un peu particulière.
Sur la commune d’Etalle, on devrait donc se trouver essentiellement au niveau de la cuesta sinémurienne, avec, au sud de la Semois, respectivement un front, une crête, puis un revers se terminant par le Ton à Ethe.
Cependant, cette cuesta possède une particularité importante, puisqu’elle disparaît d'ouest en est entre Tintigny et Vance et est donc quasi inexistante sur la commune d’Etalle. Cela pourrait s’expliquer par une lacune sédimentaire à cet endroit, c’est-à-dire l’absence d’une couche qui, ailleurs, protège les grès sous-jacents de l’érosion, mais qui, entre Tintigny et Vance, n’est pas présente, ce qui a entraîné l’érosion et la troncature de la crête de la cuesta sinémurienne, en laissant à la place une vaste plaine marécageuse.
Au niveau de la commune, la cuesta ne présente donc pratiquement pas de front raide au sud de la Semois, comme on peut l’observer par exemple entre Tintigny et Saint-Vincent-Bellefontaine, avec une pente moyenne de pratiquement 6% (voir coupe NNE- SSW de 7 km), mais, sur Etalle, uniquement un revers incliné, au sud de la ligne Croix-Rouge-Buzenol-Chantemelle vers Ethe et Saint-Léger (voir coupe NS de 12 km).
Alors, la cuesta à Etalle, c'est une légende ?
Pas vraiment : dans les textes relatifs à la commune d’Etalle, la cuesta sinémurienne est souvent évoquée, y compris sur notre site, pour localiser, par exemple des éléments du patrimoine naturel (les marais, les mardelles, …). En effet, si le front et la crête n’y sont que "virtuels", la chronologie et la dureté des couches géologiques sous-jacentes restent cependant cohérentes avec le reste de la cuesta.
La cuesta rhétienne
Il y a pourtant une autre cuesta sur la commune, qui est souvent oubliée, parce qu’elle est moins étendue d’est en ouest. Il s’agit de la "petite cuesta rhétienne". Au nord de la cuesta sinémurienne, en remontant encore le temps, juste sur le socle primaire de l’Ardenne, une couche de grès s’est déposée durant l’étage rhétien (entre -208 et -201 millions d’années) sur une couche de marnes tendres qui a été creusée par la Rulles. Et donc, entre Rulles et Semois se trouve cette petite cuesta avec un front, visible par exemple à la sortie d’Houdemont vers Mortinsart (pente 3,5%), une crête au niveau des routes de Montavaux, puis Montauchamps, qui passent au-dessus de l’antenne GSM au nord de Mortinsart et un revers descendant en pente douce jusqu’à la Semois. Mais cette cuesta n’est présente que sur quelques kilomètres d’est en ouest entre Ansart à Habay-la-Neuve.
Vision globale du relief
L’ensemble du relief de la région au sud de la Semois peut également être visualisé sur la figure où l’altitude est représentée sous la forme d’une échelle de couleur (en légende). Encore une fois, le front de cuesta au sud d’Etalle n’y est pas perceptible.
Une autre façon de voir le relief est de "draper" la carte sur le support en 3 dimensions. Sur cette figure, on perçoit surtout les vallées profondes creusées par la Rouge-Eau, le Gros Ruisseau, la Neuve-Forge et le ruisseau de Laclaireau dans le revers de la cuesta sinémurienne.