Le village de Landin décimé par la peste de 1636
De la peste noire au corona virus
Le monde entier se souviendra de 2020 comme une triste année, marquée par la pandémie de Covid-19 à laquelle, pour la Gaume, il faut ajouter l'épizootie de peste porcine africaine, affectant les sangliers, et qui a empêché l'accès aux forêts.
Heureusement, notre époque bénéficie de moyens efficaces pour contrer ces virus, tout au moins l'état acutel de la médecine permet-il d'en limiter les dégâts.
Mais au Moyen-Age et au début des Temps Modernes, les épidémies causaient beaucoup plus de décès.
A l'époque, la théorie médicale ignorait le mécanisme de diffusion de la peste et l'hygiène était loin d'être parfaite, ce qui favorisait la transmission de la maladie.
Après une première attaque vers 1350, la "peste noire" atteignit à nouveau nos contrées au XVIIe siècle et, en particulier l'année 1636 fut appelée l'année de la "grande mortalité".
La population fut décimée et même à peu près anéantie dans un grand nombre de localités de nos régions.
On dit que près de 380 hameaux et villages belges disparurent tout à fait pendant cette année-là, comme le village de Landin, l'actuel "quartier de la gare" de Sainte-Marie-sur-Semois.
Landin était en-effet un village à part entière à cette époque, mais on lit dans les registres paroissiaux de 1637 de Sainte-Marie : "Aujourd'hui, j'ai enterré le dernier bourgeois de Landin, décimé par la peste."
Landin était quasiment "rayé de la carte".
Reportons-nous à cette époque
Après l’abdication de Charles-Quint en 1555, la dynastie est scindée en deux branches : la partie espagnole, en ce compris les Pays-Bas (et donc notre région), sous le règne de Philippe II, fils de Charles-Quint, et la partie autrichienne, gérée par son oncle.
Après Philippe II, les "Pays-Bas Espagnols" bénéficient de souverains spécifiques, les archiducs Albert et Isabelle, qui régnent entre 1598 et 1621, en dépendant toujours de l’Espagne, mais en jouissant d’une grande autonomie.
En 1621, les Pays-Bas reviennent sous l'entière domination de l’Espagne et le pouvoir redevient absolu.
Les rois d’Espagne dirigent les Pays-Bas à distance et se font représenter par des gouverneurs peu compétents. Après la trève des archiducs Albert et Isabelle, la guerre recommence et, à partir de ce moment, la Belgique devient, pendant près d’un siècle, le champ de bataille de l’Europe.
En particulier, la guerre de Trente ans (1618-1648) entre les Habsbourg d’Espagne et les protestants allemands, unis à la France, plonge le comté de Chiny (et donc toujours notre région) dans un abîme de malheurs et de calamités.
A ce contexte de guerre s'ajoute la "peste noire".
Comme le souligne Julien Loiseau, la peste des XIVe et XVIIe siècles a deux formes : une forme pulmonaire qui ressemble au coronavirus, à ceci près que lorsqu’elle se déclenche au Moyen-Âge, elle est systématiquement mortelle.
L’autre forme, la peste bubonique, est très spectaculaire, car elle est visible sur le corps, mais elle n’est pas mortelle dans tous les cas.
L’autre différence fondamentale très importante, c’est le mode de transmission.
Certes, dans le cas de la forme pulmonaire de la peste, il y a une transmission interhumaine par les postillons ou les tissus souillés mais sinon, elle est absente dans la plupart des cas.
La transmission se fait par la puce qui, quand les rats meurent, change de porteurs et transmet le bacille.
On oublie trop souvent que la mondialisation est un processus très ancien, qui a connu des phases d’accélération dans l’Histoire.
Or, le rôle des liaisons commerciales, et en particulier des liaisons maritimes, est décisif dans la diffusion de la peste à partir du XIVe siècle.
Le mode de transmission de la peste, par la puce du rat noir, favorise cela.
On sait que le rat noir est très présent au XIVe siècle sur le territoire européen.
C’est une espèce qui est sédentaire et qui ne se déplace que parce que les hommes la déplacent.
Et il est plus que probable que le bacille yersinia pestis, responsable de la peste, venait de Chine. Tiens, tiens...
Et ce que l'on appelle "peste" à l'époque est probablement un ensemble de maladies : les différentes formes de peste étaient accompagnées du choléra, du typhus, ...
L'actuelle province de Luxembourg fut particulièrement ravagée. La peste sévissait particulièrement dans les villes, notamment à Arlon et à Virton, où les gens de la campagne venant chercher un abri, lui fournissait une ample pâture.
A Virton, le nombre des bourgeois fut réduit de 210 à 49 et le nombre des victimes s'éleva à 2500 personnes.
Il y mourut bien 50 personnes par jour.
La population de notre province fut réduite de plus des deux tiers.
Dans les rapports du Conseil Provincial, on peut lire
« On voit les pauvres manants de la campagne s'accoupler aux charrues, et dans les églises se faire des mariages entre ceux qui étaient échappés à la mort, indépendamment de noble à roturier, de pauvre à riche, en sorte que l'année en fut nommée la "sotte année".»
D'après Ed. Liégeois, dans "Histoire de Tintigny" (1920), la terrible épidémie exerça ses rayages depuis environ Quasimodo (le dimanche après Pâques) jusqu'au commencement du mois d'octobre suivant.
Mais quand le fléau prit fin , ses suites funestes se firent sentir inévitablement pendant longtemps encore.
Pendant les années 1635-1636, on cite comme totalement abandonnés les villages de Termes, Frenois, Moyen, La Cuisine, Martué, Villers-sur-Semois, Buzenol, Mortinsart, Nantimont.
De même, "à cause des guerres et mortalités" les relevés des causes civiles dans les régistres de l'époque, pour 1636 et 1937, indiquent "néant" à toutes les recettes pour les villages ci-dessus ainsi que pour Chiny, Lochenol (Rossignol), Florenville et Estalle.
Dans la calamité générale, Vance souffrit certainement grandement aussi de la misère des temps, mais il parait bien que son sort fut moins désastreux et qu'à aucun moment, il ne fut totalement déserté.
Il semble même résulter d'un document de l'époque que sa population était demeurée relativement importante.
Quant à Buzenol, après la peste, selon Tandel, la localité se trouvant dépeuplée, le prince régnant alors appela du dehors des habitants qui vinrent habiter Buzenol.
Selon le dire des vieillards, les nouveaux-venus étaient des Brabançons; ils étaient nombreux et en etat de faire face à ceux que la peste avait epargnés.
Certaines discussions eclatèrent. Ne trouvant rien de mieux, les naturels jetèrent à la face, aux etrangers, l'épithète de "Brabounnerie", épithète qui s'est conservée jusqu'à nos jours.
La toponymie locale et les légendes rappellent cette triste époque.
Ainsi, au lieu-dit "Fontaine des Malades", près de Vance, jaillit une source abondante, formant fontaine, auprès de laquelle on conduisait, selon une tradition qui s’est transmise, les grands malades en temps d’épidémie de peste, pour les soigner et surtout pour les éloigner du village.
On avait établi à cet endroit, certainement à cause de la proximité de l’eau, des huttes ou cabanes dans lesquelles étaient abrités ceux qui étaient considérés comme perdus sans remède et qui y vivaient leurs derniers moments.
A Virton, la peste était si violente qu'elle donna lieu à une procession qui se faisait encore il y a peu dans l'ancienne capitale du Duché, le 26 dimanche de septembre.
La légende rapporte que Saint Roch passant à Harnoncourt en temps d'épidémie, fut atteint de la peste.
Il se lava dans une fontaine, se guérit et communiqua une vertu miraculeuse à l'eau de la source qui porte actuellement son nom.
Il est souvent un peu partout considéré comme "guérisseur de la peste".
Dans cette "calamité générale", Landin a-t-il souffert plus que les autres villages ?
Le quartier de Landin groupe actuellement tout au plus une bonne vingtaine de maisons.
Il est probable qu'au XVIIe siècle, il y en avait encore beaucoup moins.
A l'heure où l'on tend vers le regroupement des communes, il est difficile de s'imaginer que Landin fût un village à part entière.
Avant de s'individualiser, Landin dut faire partie intégrante, comme Fratin, du ban de Sainte-Marie : les manants de Landin bénéficiaient en effet en 1602 des mêmes usages que les bourgeois de Sainte-Marie dans les bois appelés les bois d'Etalle et de Sainte-Marie.
Au temps de la féodalité, Landin, comme Fratin, étaient considérés comme des "écarts" de la seigneurie de Sainte-Marie "avoisinant les fanges des ruisseaux de Gilbaupont et du Plane".
En tout cas, la carte de Ferraris, datant de 1777, n'indique aucun bâtiment. La seule mention qui est faite entre Poncelle et Sainte-Marie est la "croix de Landin", précisémeent érigée en commémoration de la peste de 1636.
Tous les villages de l'actuelle commune d'Etalle ont probablement souffert de manière équivalente,
mais Landin étant très peu peuplé, la peste noire l'a entièrement ravagé, en ne laissant en vie aucun de ses habitants.
Quelle était à l'époque la population de Landin ?
Selon Lepage, il ne demeurait en tout cas plus personne à Landin en 1445.
Puis le village voit augmenter le nombre de ses manants qui passe de trois conduits payant les gardes en 1459 à quatre en 1502 puis neuf en 1541
(le "conduit" est une unité d'imposition fiscale correspondant à une charrue entière; on ne peut donc pas l'identifier à un ménage).
Tandel écrit en 1890 :
"Anciennement le village de Sainte-Marie avait deux annexes: Fratin et Landin, à peu près aussi populeuses l'une que l'autre.
En compulsant les anciens actes paroissiaux, Sainte-Marie pouvait compter environ 250 habitants, Fratin 150 et Landin 200.
Par suite de la peste de 1636 le village de Landin fut presque totalement anéanti ; quelques personnes seulement survécurent à ce terrible fléau.
En 1642, les anciens actes paroissiaux ne font plus mention de ce village. Actuellement on retrouve encore à l'emplacement où il était bâti un peu au dessus de la station de Sainte-Marie, quelques vestiges de son existence, tels que pierres, briques, etc."
On peut cependant douter des chiffres avancés par Tandel, puisque Balter écrit, de manière plus précise :
"Ce village était situé entre Sainte-Marie et Poncel, près de la gare du chemin de fer.
Il existait déjà comme village en 1270.
Un dénombrement fait, dans la prévôté d'Etalle en 1602, y renseigne comme habitants six bourgeois et deux femmes veuves:
savoir 1. Gilles le manant, sergent ; 2. Gilles le petit Henry; 3. Henrion Crupin ; 4. Jeannin, fils du petit Henry ; 5. Jean Mathié; 6. Jean le grand Gilles ; 7. Jeannette d'Etale ; 8. Lienne, veuve."
Et en 1637, le "dernier bourgeois de Landin" enterré par le curé était Jean le Petit Gilles de Landin, probablement un fils du "grand Gilles".
Il semble donc assez clair que ce petit hameau fut décimé par la peste de 1636 par contagion entre les quelques personnes qui y résidaient.
Peu importe d'ailleurs : ce fut une lourde dette à payer pour Landin, comme pour tous les autres villages.
Heureusement, Landin s'est bien redressé depuis, avec le moulin de Poncelle, devenu la scierie de Landin exploitée par la famille Stiernon,
puis en face, la scierie Dussard, reprise également par la famille Stiernon.
Adelin Dussard a d'ailleurs fait construire une villa luxueuse qui existe toujours à Landin.
Le quartier a également profité de l'installation de la ligne de chemin de fer Marbehan-Virton, avec la construction de la gare en 1873,
et puis, un peu plus tard, la halte du tram devant la gare.
Comme tout quartier de la gare qui se respecte, il possédait également un "café de la gare", tenu par Louis Moreau, puis par son fils Marcel, qui a animé le bistrot qui a alors connu des années folles.
Actuellement, il s'agit du Karaquillos, toujours bien vivant et renommé dans la région.
Si ce n'est donc la "croix de Landin", au pied d'un remarquable hêtre pourpre, la peste noire de 1636 n'est plus qu'un mauvais souvenir lointain...
Bibliographie
- Tandel, E. Les communes luxembourgeoises. Tome III - L'arrondissement de Virton.- Annales de l'Institut Archéologique du Luxembourg - Arlon - tome 23 - 1890
- Balter, V. Localités disparues dans la province de Luxembourg.- Bulletin trimestriel de l'Institut Archéologique du Luxembourg - Arlon - 23e année - 1947
- Massonnet, J. Histoire de Chassepierre. - Annales de l'Institut Archéologique du Luxembourg - Arlon - tome 84 - 1953
- Massonnet, J. Histoire de Vance. - Annales de l'Institut Archéologique du Luxembourg - Arlon - tome 90 - 1959
- Lepage, D. Le lignage et la seigneurie de Sainte-Marie-sur-Semois. - Annales de l'Institut Archéologique du Luxembourg - Arlon - tomes 128-129 - 1997-1998