La légende des quatre fils Aymon
"Etalle, pays des sources et des Quatre Fils Aymon"
C'est en ces termes que la commune d'Etalle est souvent présentée.
En effet, divers sites de la forêt d'Etalle-Virton correspondent à des épisodes de la fameuse légende médiévale :
Qu'en est-il historiquement ?
La "chanson des quatre fils Aymon" est une histoire créée de toutes pièces par les trouvères qui s'en allaient de châteaux en châteaux et de foire en foire en chantant des nouvelles. Les premières histoires ont certainement pris naissance dans le Nord de la France, dans les Ardennes, puisque tout semble indiquer que les 4 fils Aymon étaient originaires de ce pays. Mais les trouvères étaient des voyageurs et l'histoire fut chaque fois déclinée pour s'adapter à la région où elle était racontée. Il y a même des manuscrits de Venise, et d'autres régions, allemandes ou anglaises.
Elle a probablement été créée au début du deuxième millénaire et retranscrite dans la littérature médiévale à partir du XIIIe siècle. Cette histoire légendaire est pour la race franque et celte ce que fut pour les grecs les aventures d'Achille, Ulysse, Ménélas, Agamemnon, Priam, Hector, Patrocle, … C'est l'Iliade du Moyen-Age.
C'est une pure légende car, historiquement, les fils du duc Aymon auraient vécu sous le règne du roi Charles Martel, soit un siècle avant Charlemagne.
En outre, dans la légende, les aventures de Renaud se poursuivent en Judée, en Palestine, à Jérusalem, alors que le temps des croisades ne vient que deux siècles après le règne de Charlemagne.
Et puis l'empereur apparaît comme un homme ridicule, déloyal, lâche, qui n'a jamais de bonnes idées, passe sa vie à se mettre stupidement en colère, tombe en des états fous d'exaspération dès qu'on le contrarie.
Jamais on ne le voit s'occuper des écoles, de l'administration de son royaume, des relations diplomatiques, ...
C'est Charles V (roi de France de 1364 à 1380), le premier, qui ait voulu faire figurer l'histoire des Quatre Fils Aymon parmi les livres de ce qui deviendra plus tard la "bibliothèque nationale". Il a donc fait exécuter une "traduction" en bon français du poème des Quatre Fils Aymon, dont il existait une infinité de variétés, surtout parce qu'il aimait l'esprit des vaillants chevaliers qui est conté dans cette histoire : leurs qualités de noblesse, de droiture, de simplicité, de sincérité, de courage… Il a donc donné au texte son authenticité définitive et officielle. Il s'agissait d'une version manuscrite qui fut imprimée plus tard, en 1480. C'est sur base de cet incunable que l'histoire s'est transmise à travers les siècles qui ont suivi.
Il y a des dizaines de versions des exemplaires de l'histoire, sous différentes formes, y compris sur internet.
Il y a aussi d'excellentes études sur la question, accompagnées d'analyses approfondies de la relation avec les faits historiques.
Ce site n'a pas du tout la prétention d'y ajouter sa propre interprétation et, pour rappeler brièvement l'histoire de ces preux chevaliers, il se basera sur un livre de 1908 qui, selon Jean d'Albignac, son auteur, se veut une transcription assez fidèle du manuscrit imprimé en 1480.
Mais qui reste toutefois une traduction en texte libre du poème original écrit en vers et en ancien français.
Le conte est décliné en 28 chapitres dont les quelques premiers seront ici résumés en quelques tableaux.
Histoire des Quatre Fils Aymon, très nobles et très vaillants chevaliers
Un jour de Pentecôte, Charlemagne tient une grande et solennelle fête à Paris où il invite notamment le vaillant duc Aymon de Dordonne et ses quatre fils : Renaud, Allard, Guichard et Richard.
Ils sont beaux et puissants, surtout Renaud.
Au cours de cette fête, Charlemagne explique à ses hôtes qu'il a perdu beaucoup de chevaliers au cours de ses batailles et qu'il n'avait pas toujours été aidé par ses vassaux, dont le duc d'Aigremont, frère du duc Aymon.
Pour lui signifier qu'il était mécontent et que s'il ne venait pas le seconder dans ses batailles, il assiégerait Aigremont et détruirait toute sa terre, il envoie son fils Lohier comme messager, accompagné de 100 chevaliers.
Or, le duc d'Aigremont refuse d'aider Charlemagne et tue Lohier et toute sa troupe, avec notamment l'aide de son fils Maugis, qui est également un enchanteur.
Pendant ce temps, Charlemagne s'inquiète de ne pas voir revenir Lohier.
Le duc Aymon suggère alors d'envoyer à Aigremont ses 4 fils. Charlemagne accepte et les nomme chevaliers.
Renaud est le plus vaillant et il monte le cheval Bayard, qu'il avait reçu précisément un peu plus tôt de son cousin Maugis.
Mais un émissaire arrive au palais de Charlemagne et annonce la mort de son fils.
Charlemagne est fort peiné et courroucé par cette nouvelle.
Comme c'est son propre frère qui a commis ce meurtre, le duc Aymon préfère rentrer chez lui à Dordonne, accompagné de ses 4 fils.
Charlemagne en est très irrité et jure que les quatre fils Aymon le payeraient cher.
Après de terribles batailles entre les troupes de Charlemagne et celles du duc d'Aigremont, ce dernier, finalement, s'incline devant le roi, qui lui pardonne.
Mais le comte Ganelon, fâché de la mort de son cousin Lohier, réunit une armée, assiège Aigremont et tue le duc.
A la Pentecôte de l'année suivante, Charlemagne fait encore une fête à laquelle assistent encore le duc Aymon de Dordonne accompagné de ses 4 fils.
Renaud est en colère contre Charlemagne qu'il juge responsable de la mort de son oncle.
Cependant, l'atmosphère de la fête se détend et Berthelot, le neveu du roi propose une partie d'échec à Renaud.
Pendant la partie, les deux hommes se querellent et Renaud saisit l'échiquier en or massif et frappe mortellement Berthelot à la tête.
Charlemagne fait poursuivre Renaud, mais celui-ci parvint à s'enfuir avec ses frères et son cousin Maugis qui les avait aidés à fuir.
Les hommes de Charlemagne les poursuivent, mais ne parviennent pas à les blesser.
Si bien que Renaud et Maugis, chevauchant Bayard ainsi que Allard, Guichard et Richard, sur leurs chevaux, arrivent à Dordonne.
La mère des 4 frères est très fâchée que Renaud ait tué Berthelot.
Ils quittent donc la ville tous les 5 pour entrer dans la grande forêt des Ardennes par la vallée aux Fées.
Ils chevauchent tant qu'ils se retrouvent au bord de la Meuse.
Ils remarquent un endroit convenable où ils font bâtir un château au bord du fleuve.
Ils appellent ce château Montfort (ou Montessor, selon les traductions).
Le père des 4 frères promet au roi de punir ses enfants.
Sept ans plus tard, Charlemagne apprend que les 5 jeunes gens sont dans le château de Monfort.
Il rassemble une armée, avec plusieurs barons de France, y compris le duc Aymon, et tous quittent Paris pour s'y rendre.
Ils assiègent le château et même le père des jeunes gens prend part à la bataille contre ses propres enfants.
Ils sont d'abord repoussés par Renaud et ses hommes, mais Charlemagne fait le siège du château pendant 13 mois.
Alors que le roi est près d'abandonner, par ruse, un de ses hommes se fait ouvrir la porte du château et parvient à ouvrir le pont-levis et faire entrer les troupes du roi, qui mettent le feu au château.
Après de rudes combats, Renaud, ses frères et 500 hommes parviennent à quitter l'endroit et à échapper à l'armée de Charlemagne.
Ils chevauchent ainsi dans une grande et épaisse forêt du bois des Ardennes.
Charlemagne retourne donc à Paris sans avoir pu se venger des fils Aymon.
Pendant ce temps, le duc Aymon et ses soldats retrouvent un peu par hasard les troupes de ses enfants et les attaquent.
Ils tuent beaucoup de leurs hommes, si bien qu'il n'en reste que 14.
Renaud manque de se faire battre, mais il parvient à s'échapper avec ses frères et le peu d'hommes qu'il lui reste.
La petite troupe de Renaud reste longtemps dans les forêts d'Ardennes, avec peu de vivres et devant braver la neige et le froid.
Les gens commencent donc à mourir les uns après les autres, si bien qu'en fin de compte, il ne reste plus que les 4 frères et 4 chevaux.
Mais ils ont piètre allure : velus comme des bêtes et les armes rouillées.
Tristes de cet état et ne sachant plus que faire dans cette misère, ils retournent à Dordonne, là où ils sont nés.
Là, ils reçoivent de leur mère des vêtements et de l'or, engagent une armée et partent vers le sud avec leur cousin Maugis.
Ils arrivent à Bordeaux où ils aident Yon, le roi de Gascogne à battre les Sarrazins.
Yon les héberge un moment.
Un jour que les fils Aymon chassent dans la forêt près de la Gironde, ils aperçoivent une très haute montagne et demandent au roi Yon de leur donner cet endroit pour y bâtir une forteresse.
Une fois le château construit, Yon demande à Renaud comment il compte l'appeler.
Renaud laisse le roi choisir et, comme le lieu est très beau et très gentil, celui-ci suggère de l'appeler Montauban (étymologiquement : "mont blanc", dans le sens "immaculé").
La forteresse est bientôt habitée par un très grand nombre de personnes.
Conseillé par ses barons et pour être certain que jamais Renaud ne se fâchera sur lui, le roi Yon lui donne sa sœur cadette Claire pour femme.
Par ce mariage, le roi Yon est assuré de la protection de Renaud, ce que Renaud lui assure de son mieux.
Avec Claire, Renaud aura deux enfants : Yonet et Aymonet.
Il vient un jour à l'idée de Charlemagne d'aller en pèlerinage à Saint-Jacques-en-Galice.
Lors de son voyage de retour vers Paris, il traverse la Gironde et aperçoit le château de Montauban.
En apprenant que c'est le château de ses ennemis, il exige que le roi Yon les lui livre en le menaçant de tout détruire s'il ne le fait pas.
Mais Yon refuse. Charlemagne retourne à Paris fort énervé.
Il y rencontre Roland, son neveu et le sacre chevalier.
Il veut lui offrir le meilleur cheval du royaume et pense évidemment à Bayard.
Il organise donc une course de chevaux qui aura lieu à Paris à la Saint-Jean, avec un beau prix et la couronne royale à la clé.
Apprenant cela à Montauban, Renaud veut défier le roi avec son cheval et décide de participer à cette course.
Accompagné de ses frères, de Maugis et de ses gens, il passe par Orléans, puis Melun et arrive à Paris.
Alors, pour ne pas qu'on les reconnaisse, Maugis frotte Bayard d'une certaine herbe et le cheval devient blanc, puis il frotte Renaud avec un onguent et celui-ci paraît avoir 15 ans.
C'est ainsi que Renaud et Bayard, sans être reconnus, gagnent la course.
Charlemagne n'a pas pu les poursuivre et les frères sont rentrés à Montauban avec la couronne du roi.
S'en suivent alors encore mille péripéties, des batailles sanglantes, des rebondissements, des pardons, des souffrances, ...
Renaud se rend même à Jérusalem où il retrouve Maugis et, à deux, ils se battent contre les Perses.
Il finit par revenir à Montauban, à retrouver ses fils, qu'il fait sacrer chevaliers par Charlemagne.
Quant à lui, il se retire du château et va vers Cologne où il se fait assassiner par des manoeuvres maçons.
Bayard est livré à Charlemagne qui le jette dans la Meuse, à Liège, avec une pierre de moulin autour du cou.
Dans l'eau, le cheval tape si fort sur la pierre qu'il peut se libérer et on dit qu'il est encore en vie dans la forêt des Ardennes.
Alors, les Quatre Fils Aymon sont-ils venus à Etalle ?
Si l'on en croit l'histoire imprimée en 1480, le château de Montfort serait plutôt dans les Ardennes françaises et Montauban serait du côté de Bordeaux, entre Gironde et Dordogne.
Mais il s'agit bien sûr d'une légende et il faut donc laisser aller notre imagination et croire, par exemple, en ce cheval Bayard, qui ne faisait pas moins de 30 pieds (près de 10 mètres) d'une seule enjambée.
Ou encore en ce Renaud, "le plus bel homme qui se trouvât alors au monde car il avait 16 pieds de haut (près de 5 mètres) tout au moins".
Il faut aussi accepter que Bayard ait été un peu partout pour laisser l'empreinte de son pied.
Etalle, en tout cas, n'est pas la seule commune à revendiquer l'inspiration du conte.
Montfort ou Montessor, bâtit sur un éperon rocheux au-dessus de la Meuse, est le nom du château légendaire des quatre fils Aymon dans les Ardennes.
De nombreux emplacements sont revendiqués, en Belgique comme en France, pour être ou avoir été Montessor.
De nombreux "pas-Bayard" sont issus du passage imaginaire du cheval-fée, qui aurait laissé l'empreinte d'un de ses sabots sur le sol.
Ils sont nombreux dans l'Ardenne belge.
Il en existe notamment près de Couillet (lieu-dit ô pa Bayâr), de Pepinster, d'Aywaille (au château d'Amblève, revendiqué pour Montessor), de Dolembreux, de Remouchamps, de Stoumont, d'Anthisnes ou encore de Bra, Wéris, Ethe, Étalle, et en forêt de Chiny,
mais aussi à Berthem, près de Louvain ou à Dortmund en Westphalie.
En Belgique, le plus connu de ces toponymes est le Rocher Bayard, un obélisque de pierres d'une quarantaine de mètres de hauteur, à la sortie de Dinant vers Anseremme et au bord de la Meuse.
Les quatre fils Aymon y auraient été cernés par les soldats de Charlemagne.
Montés sur Bayard, il se seraient avancés sur la pointe des rochers jusqu'à la roche nommée depuis la Roche-à-Bayard (ou la roche Bayard), et qui, à cette époque adhérait encore à la montagne voisine.
Au moment où l'empereur croyait tenir ses ennemis, Bayard frappa le roc de son sabot et s'envola d'un bond prodigieux pour retomber de l'autre côté du fleuve.
Sur la roche désormais célèbre se trouve encore, dit-on, l'empreinte du pas de Bayard.
Celui près de la ferme de Bar est moins spectaculaire : un rocher moussu d'à peine 1 m2 au pied d'un arbre. Mais c'est vrai qu'il représente assez bien l'empreinte d'un sabot de cheval...
L'une des plus célèbres représentations modernes de la légende est Le cheval Bayard, une sculpture réalisée par Olivier Strebelle et initialement montrée au public lors de l'exposition universelle de 1958.
Elle est placée le long de la Meuse à Namur, en contrebas du pont des Ardennes.
Une autre célèbre statue représente les fils Aymon en compagnie de Bayard.
Réalisée par Albert Poncin, elle se trouve à Bogny-sur-Meuse.
De nombreuses localités de France et de Belgique possèdent ou ont possédé une "Rue des Quatre fils Aymon", c'est le cas d'Orléans, de Bruxelles, de Mons, de Namur, de Nevers ou de Marbache, en Meurthe-et-Moselle, etc.
Dans l'arrondissement de Sedan, en Ardennes, dans le Nord de la France, on trouve :
- la forteresse de Château-Regnauld : une forteresse médiévale dont les ruines se trouvent sur le cours supérieur de la Meuse française à hauteur du village de Château-Regnault (commune de Bogny-sur-Meuse) dans le département des Ardennes et dont les origines remontent entre le XIIe et le XVIe siècle,
- à Létanne, le château de Mont-Fort,
- un "pas Bayard",
- un dolmen appelé "la Table de Maugis",
- dans le quartier de Bel-Air, au nord de Charleville, une vallée étroite connue sous le nom de "Vallée aux Fées",
- de là, si on suit la direction qu'auraient pu prendre les 4 fils Aymon, on arrive à Château-Regnauld.
Est-ce la légende qui a donné le nom au lieu ou est-ce le nom du lieu qui a inspiré la légende ?
Vu les nombreuses versions de la légende, il est évidemment très difficile de le savoir.
Si on admet que le conte ait été créé au XIe ou XIIe siècle, il est alors probable que notre Montauban n'était pas encore connu sous ce nom, puisqu'encore en 1682, les forges de Montauban s'appelaient forge et fourneau de Buzenol.
Mais il est tout à fait vraisemblable qu'une version ultérieure de la chanson de geste ait été imaginée dans notre région.
Soyons donc des gaumais un peu chauvins ...
Et comme le signalait un petit article du "Publi Vire" local en juin 2016 :
- Renaud incarne à lui seul toutes les valeurs de la chevalerie, le courage, l'intégrité, alors que Charlemagne, lui, c'est l'autoritarisme et la traîtrise. Et n'est-ce pas bien gaumais, ça, de refuser l'autorité ?
- Le donjon de Montauban/Buzenol , quand il a été fouillé, n'a-t-on pas déterminé qu'il avait brûlé vers le VIIe-IXe siècle, juste quand Charlemagne était empereur ?
- Et Allard, Guichard, Richard et Renaud, ne sont-ce pas des prénoms gaumais ?
- Il y a même un "Chêne des Quatre Fils Aymon" à Rulles
-
Et le "pas Bayard" d'Ethe, il n'évoque pas les quatre frères, mais un épisode vécu après leur disparition par le fameux cheval qui, lui, était revenu dans le coin après avoir été précipité dans la Meuse.
Bref, du coup, Dinant et son rocher, Termonde et ses géants et consorts ne vont pas trop nous la ramener...
Bibliographie
- d'Albignac, J. Histoire des Quatre Fils Aymon, très nobles et très vaillants chevaliers. - 247p. - 1908 - ed. Maurice Bauche, Paris
- Publi Vire, Année patrimoniale 2016. 16e rencontre des Musées Gaumais : Croyances et Vie quotidienne. L'oeuvre de la semaine : duels de païens et de chrétiens ou la Légende des Quatre Fils Aymon. - Publi-Vire - Virton - n°22 - 8 juin 2016 - p.12